Extrait n° 2

Je fixe la femme rousse avec curiosité.
Elle remonte ses lunettes sur son nez, avec un air hautain qui me surprend.
Elle n’a pas l’air très à l’aise. Elle soupire, visiblement exaspérée de se retrouver seule avec moi.
Je hausse les épaules et me concentre sur la plume et la pierre qui continuent de virevolter autour de moi.
Le vent qui souffle toujours autant ne me gêne plus. Maintenant que je maîtrise cet exercice, je suis plutôt rassuré de le sentir. Même si ce n’est qu’une création de ma volonté.
Sentir le vent me donne l’impression que tout est possible. C’est grisant comme sensation.
Et ce malgré la rousse qui n’a toujours pas bougé de place.

Elle reste un long moment à m’observer sans rien dire.
Allez savoir comment et pourquoi je peux sentir les doutes qui en ce moment traversent son esprit.
Elle n’a pas confiance en moi. Pourquoi ? Je n’en ais pas la moindre idée.
Elle ne me croit pas à la hauteur. A la hauteur de quoi ? Mystère absolu.
Elle ne me juge pas digne de confiance. Digne de quoi exactement, je n’en sais rien !
Malgré ma curiosité naturelle, si elle n’adopte pas une autre attitude, je sens que cela part mal entre nous !
Ce genre de comportement méfiant, j’en ais eut mon compte de mon vivant !
Dés que les adultes découvraient où je vivais ou bien quelques brides de mon passé, tout de suite, j’étais catalogué comme une source de problème potentiel !
Je pensais qu’une fois mort, tout ceci serait oublié !
Qu’enfin on me laisserait une chance…
Apparemment, non.

Elle n’a toujours pas bougé, ni dit un mot.
Elle continue son évaluation silencieuse en me fixant froidement derrière ses hideuses lunettes.
Je pourrais m’énerver et lui demander ce qui me vaut l’honneur d’une telle inspection.
Mais je sais que cela ne servira à rien. Sinon qu’à lui donner raison.
Si je laisse exploser ma colère et ma propre exaspération, elle va se dire qu’elle a raison de se méfier de moi.
C’est pourquoi je préfère l’ignorer. Elle finira bien par me parler.
C’est elle qui cèdera la première. Je peux deviner que j’ai plus d’expérience qu’elle à ce petit jeu.
Toute mon attention se rapporte sur la plume et la pierre qui continuent leur ballet suivant le gré de ma volonté.
Le vent en réponse à mon agitation intérieure à redoubler de violence mais j’arrive encore à tout maîtriser.
La femme soupire à nouveau.

« Si vous avez finit de vous amuser, nous pouvons certainement passer aux choses sérieuses ! » Déclare-t-elle en posant le dossier qu’elle tenait dans ses bras sur un bureau qui apparaît comme sorti de nulle part.

Je la regarde surpris. Elle arbore un sourire ravi devant mon air étonné.

« Vous apprendrez plus tard comment faire jaillir du néant ce dont vous avez besoin. » Reprend-elle en s’asseyant sur un des coins du bureau.

Je sais bien qu’elle n’a fait ce petit tour d’apparition que pour attirer mon attention.
Coup magistralement réussi !
Je me sens comme un enfant le premier jour de classe interroger pour la première fois par sa maîtresse d’école.

« La première chose que je dois vous apprendre concerne le lieu où nous nous trouvons pour le moment. » Continue-t-elle en embrassant du regard l’immense champ. « C’est assez rare de tomber sur une âme ayant un tel détachement vis-à-vis de ses semblables… »

« On dirait que cela ne vous convient pas ? »

Le ton ironique de ma remarque ne lui échappe pas.
Un sourire amusé apparaît sur son visage alors qu’elle retire ses lunettes.
Je dois l’avouer je vais devoir revoir mes premières impressions à la hausse si malgré mon insinuation, elle ne se braque pas.

« J’estime juste qu’il est impossible à un être humain de ne pas s’attacher aux autres. »

« Je suis tout à fait d’accord »

Ma réponse la surprend, agréablement à première vue mais cela l’étonne aussi. Elle a haussé les sourcils. Elle semble attendre que je développe un peu mon opinion sur ce sujet.
Facile à dire, mais pas évident à faire.
Je n’ai jamais été très doué avec les mots. Quitte à m’attirer des ennuis, j’ai toujours dit le fond de ma pensée.

« De mon vivant, j’ai rencontré de nombreuses personnes avec qui j’ai partagé des moments forts. Mais ce n’est pas pour autant que je les ais enchaîner à mon existence. »

« Enchaîner ? »

« Oui »

Elle soupire à nouveau et dans son regard, il y a maintenant une lueur de respect que je ne m’explique pas.
Je passe une main dans mes cheveux, gêné de l’intérêt qui commence à poindre dans ses yeux.
Je me sens rougir et obliger de continuer mon explication pour la rendre plus précise.

« Je n’ai certainement pas les bons mots pour expliquer, mais il me semble que c’est ce que l’on eut qualifie de plus généreusement égoïste… »

« Je n’avais jamais entendu une expression aussi…Tordue » Murmure Kate en éclatant de rire.

En même temps dans le vent je peux entendre comme un autre rire. Une voix cristalline d’enfant.
Je cherche du regard d’où il peut provenir mais je ne trouve pas. Il n’y a rien en dehors de nous ici.

Version brut de chez brut